
Christophe Honoré se propose d'adapter ici le célèbre roman de Gustave Flaubert, en confiant le récit à son héroïne. Madame Bovary, épouse malheureuse, tente d'échapper à la mélancolie qui la gagne, à l'ennui de sa province, à son mari naïf, en trouvant l'amour auprès de deux amants. Sa fin est malheureuse, mais ne voudrait-elle pas nous raconter pourquoi? Comment?
Texte et mise en scène : Christophe Honoré
AvecHarrison Arevalo, Jean-Charles Clichet, Julien Honoré, Davide Rao, Stéphane Roger, Ludivine Sagnier, Marlène Saldana
Collaboration à la mise en scène : Christèle Ortu
Scénographie : Thibaut Fack
Lumière : Dominique Bruguière
Costumes : Yohji Yamamoto
Costumière : Pascaline Chavanne
Son : Janyves Coïc
Collaboration à la vidéo : Jad Makki
Construction du décor : Ateliers du Théâtre Vidy-Lausanne
© Laurent Champoussin
16/10/2025 - Comédie de Clermont
Fantôme qui se raconte et qui s'échappe
Madame Bovary, un irreprésentable? Christophe Honoré en fait un personnage de théâtre, la nouvelle recrue d'un cirque et une image de cinéma ! Le metteur en scène et réalisateur réemploie dans ce spectacle le mélange des genres qui fait l'une de ses marques de fabrique. Passée sous l’œil de la caméra et celle du public, éternel témoin de tout ce qui se passe sur scène, Emma Bovary s'apprête à nous raconter son histoire, ou presque. Qui est donc cette femme, triste et adultère héroïne de Gustave Flaubert, réputée pour être l'allégorie de la mélancolie?
La technicité de Christophe Honoré est de nouveau au rendez-vous dans cette adaptation d'un des plus célèbres romans français. Le metteur en scène du Ciel de Nantes et des Idoles a à coeur de TOUT utiliser. La scénographie grandeur nature du cirque est une véritable structure labyrinthique aux nombreuses pièces cachées. L'importance de ce que l'on voit ou pas, qui regarde qui quand, est au coeur du récit d'Emma, avec pour témoin systématique le public. Des micros et des caméras quadrillent la scène et s'emmêlent dans une volonté de tout capter. A l'écran s'alternent donc des rediffusions de ce qui se passe sur scène, et des images mentales ou fictionnelles aux couleurs électriques, illustrant le récit d'Emma. La constante utilisation de ces médias peut parfois être un frein à la réception et l'intimité privilégiée du théâtre.
Le spectacle est marqué par une mise en abyme constante et trouble, entre le roman d'origine, l'espace du cirque, et la temporalité éphémère du théâtre. Les personnages, outre Emma, naviguent entre incarné et incarnant, nous faisant oublier pour un temps que tout ceci n'est qu'une illusion. La mise en scène est double, voire triple, entre Emma et Madame Loyale, marionnettistes du petit monde qu'elles et Christophe Honoré racontent. Toustes sont porté.es avec brio et émotion par les comédien.nes, en particulier Ludivine Sagnier en Madame Bovary, bouleversante dans la profondeur de son jeu. C'est à travers elle et son personnage que se réinvente l'histoire.
Car Emma raconte, bien sûr, mais Emma interroge aussi, Emma remet en question. Les prises de parole du personnage sortent du texte d'origine pour venir dialoguer avec le public. C'est là que la mélancolie pure bascule, pour devenir une forme de résistance, face aux personnages masculins, face au regard que l'on porte - ou voudrait porter - sur elle. On décale alors un peu le propos, le récit figé, pour raconter autre chose. Dans toute adaptation, il y a trahison, mais c'est justement là que l'oeuvre nouvelle prend son sens, non pas dans sa quête de ressemblance avec l'original, mais dans les différences et les dessous du texte qu'elle explore.
Finalement, "Madame Bovary" nous échappe ; elle échappe aux codes de son époque, elle échappe aux regards qui voudraient la déshabiller, elle échappe à la scène qui voudrait l'enfermer, elle échappe à la mort, au destin, à la fatalité. Elle s'échappe, et elle nous ressemble ; c'est un peu de nous qui se raconte à travers ce nouveau fantôme éveillé de Christophe Honoré.
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